Par Viviane
Le 09/01/2025
#ATRIUM
« Au moyen-Âge, Atrium avait une définition toute particulière. Mais, tout d’abord, préoccupons-nous de la représentation générale que nous connaissons tous, un espace ouvert et central. Atrium sert de lieu de passage et de rassemblement, qui souvent est un accès ouvert à différentes parties du bâtiment. C’est un espace de circulation, de méditation et d’exposition. Mais, la définition qui va construire mon récit est celle du cimetière, qui était la plus commune à cette époque. De nombreux « aîtres » ou « âtres » qui désignent encore aujourd’hui certains lieux-dits, sont des emplacements d’anciens cimetières. Le sens particulier du mot « Atrium » au début du XVII ème siècle, vient d’un lieu où l’église fut fondée, du nom de l’abbaye d’Autrey, qui emporta le nom d’Aultrey, du mot Atrium, pour avoir été premièrement environné de murailles et située autour d’un cimetière. » bulletin monumental, tome 90, n°2, année 1931
L’inauguration du nouveau bâtiment de l’université de Paul-Valery, l’Atrium, a fait venir un grand nombre d’étudiants, d’administrés, de professeurs et d’élus locaux en cette fin d’après-midi. Elle est dédiée principalement à la bibliothèque universitaire dans un nouvel espace pour les étudiants, débordant de lumière naturelle. C’est un lieu d’échange, de restauration, de rencontres et de réflexion, à la fois excitant et énigmatique par sa beauté. Un discours qui s’éternise par un verre de l’amitié, et voilà que le hall se vide petit à petit laissant l’obscurité s’installait à l’intérieur.
Sombre et silencieuse est cette soirée d’automne, lorsque Abby, une jeune étudiante en littérature, s’assoit à une table près des verrières pour contempler la demie lune qui planait dans le ciel, mais surtout pour échapper aux griffes de celui qui l’observe depuis quelques temps. A vrai dire, on parle d’une ombre car elle n’arrive jamais à l’apercevoir. Trop paralysée pour se retourner à temps ou trop énervée pour le saisir au bon moment. Mais quoi qu’il en soit, cela fait plusieurs semaines qu’il lui rode autour sans vraiment passer à l’action, si toutefois c’est son intention. Voulant à tout prix faire le chemin du retour avec sa colocataire Paola, elle aussi étudiante mais en sociologie, elle s’est réfugiée dans ce lieu, en attendant la fin de son cours. Elle est plongée dans un ancien livre, trouvé au hasard des étagères poussiéreuses de la bibliothèque universitaire.
Je caresse sa couverture en cuir vert assez abîmée, l’état de la reliure montre qu’il a été transporté régulièrement. Je m’imagine tout l’amour que son créateur a exprimé dans sa réalisation, le temps passé pour déposer les lettres en or, les finitions et la couture des pages une à une. A l’ouverture, un flot de particules volent dans la pièce, et m’oblige à cracher mes poumons pour m’en dégager. Les pages sont jaunies et extrêmement fragiles, je les tourne avec délicatesse pour ne pas les déchirer. Mais, voilà que tout à coup l’atmosphère s’alourdit, se charge en électricité et je sombre dans un univers qui n’est plus le mien. Mon cœur palpite et s’emballe, la peur m’envahît et m’immobilise, je reste plantée là, sans arme ni voix. Je m’accroche à une pensée pour ne pas m’évanouir, et l’angoisse me serre encore plus la poitrine. Par tous les diables, c’est à lui, à lui seul que mon esprit se raccroche. Mais que m’arrive-t-il ? Je suffoque, m’étale par terre et je sombre dans l’inconscient. Je ne le savais pas encore, mais ce soir là, mon destin allait changer à jamais.
A l’autre bout de l’Atrium, Thomas, un étudiant en arts visuels, observait un tableau fascinant d’ombres dansant sur les murs. Il était très attiré par les choses mystérieuses au penchant un peu obscure. Et l’Atrium, avec ses lumières tamisées, ses jeux de voilages avec un léger vent et ses recoins sombres à n’en plus finir, offraient des scènes enivrantes et impitoyables, tel un spectacle d’ombres Chinoises. Ce lieu était son refuge. Il s’abandonnait à ces visions, avec le sourire aux lèvres, parfois les sourcils froncés ou encore la larme à l’œil. Il restait là, des heures entières à contempler ces magnifiques scènes aux aléas du vent, des passages, de la clarté ou de l’obscurité extérieur, sans jamais se lasser. Mais, ce soir, il était présent lorsque Abby chuta de sa chaise et se cogna la tête la première au sol. Le fracas de cette descente aux enfers avait réveillé tout l’étage. Des quatre coins de la bibliothèque universitaire, chacun accourut pour lui porter secours. Après quelques secondes, Abby revint à elle. On lui apporta de l’eau et la releva pour s’assurer que le traumatisme crânien n’était que léger et qu’elle tenait parfaitement l’équilibre sur ses deux jambes. Gênée, elle nous remercia et ses joues commencèrent à ce teinter de rose. À ce moment précis, une lueur d’intrigue s’alluma en moi lorsque son regard croisa le mien. Je pouvais ressentir sa peur, sa tristesse, son désarroi, sa honte et son étonnement. Un simple battement de cils me fait traverser ses pensées et tout mon être s’embrase. C’était inexplicable, le temps semblait s’être figé au dessus de nous, et noyé dans son regard qui n’avait pas quitté le mien, je m’aperçois qu’elle dessine au coin de ses lèvres un sourire discret. Ses cheveux sombres, qui encadrent son visage pensif, étaient attachés laissant quelques mèches bouclées suspendre. Et l’intensité de son regard captiva mon attention.
La foule se disperse et Paola arrive, pressée comme à son habitude, et me demande de ranger mes affaires au plus vite car elle veut rentrer, se couler un bain chaud aux senteurs de roses et réviser son devoir de demain. Je m’exécute sans dire un mot, encore un peu secouée de mon étourdissement. Mais surtout parce que je connais cet engouement soudain pour les bains bouillants après une rude journée d’étudiante. Sortie de l’Atrium, je m’empresse de la questionner sur le nouveau de sa classe.
Les jours passèrent et je croisa le regard intense du jeune homme de la bibliothèque universitaire. Poussée par une force inexplicable, je m’approchai de lui.
Au fil des jours, je me prête au jeu du rendez-vous de la bibliothèque avant de parvenir à notre zone favorite : Atrium. Notre connexion est émotionnellement puissante et envoûtante dès que l’on passe le seuil de ce lieu enchanté. A tel point, que chaque soir, je la rejoins pour partager ensemble le petit bout de chemin à parcourir jusqu’au croisement. Elle me raconte ses histoires trouvées dans ce livre tout poussiéreux, ces rêves sortis du plus profond de ces entrailles et ces peurs grandissantes de jour en jour. Je l’apprécie pour la confiance qu’elle m’accorde. Elle me fait part de ces angoisses qu’elle a depuis quelques temps et qui ne disparaissent pas, bien au contraire. Elle a des visions assez étranges d’un maître des ténèbres la poursuivant dans les sous-sols de l’Atrium, un lieu complètement oublié et pourtant à peine inauguré.
Un après-midi où je finis plutôt, je lui proposa de la rejoindre avec un plat tout préparé du coin de la rue, dans le hall de l’Atrium, après son dernier cours, pour finir ses recherches du devoir d’histoire qu’elle doit rendre. Ce soir-là, alors que nous étions assis à notre table préférée, le seul endroit que j’affectionne à l’Atrium et que j’appelle : notre observatoire. D’ici, on voit tout, on entend beaucoup de choses, on suppose énormément, mais au-delà de tout ça, on est isolé de tout le monde. Ce soir-là, Abby avait besoin de parler, de vider son sac, d’être écoutée, de se confier, étant donné qu’elle n’a plus le temps de parler avec Paola, qui n’est que très rarement à leur appartement., ces jours-ci. Assis à notre table, je lui dévoile le petit menu chinois que je lui ai apporté de son traiteur préféré, avec une liste des derniers dvd sortis sur la matrice de l’Atrium, son cimetière et ses entrailles. J’enclenchai le caméscope pour commencer le visionnage pendant que Madame se jette sur les barquettes. Alors que le générique commence, Abby ne pouvait se retenir de tourner la tête derrière elle sans arrêt comme si on l’observait.
En plein milieu de la nuit, je me réveille par des visions de plus en plus réelles et intenses. Je suffoque et remarque que je suis en sueur. Je me lève sans faire trop de bruit, Thomas dort profondément dans le lit. J’enfile un tee-shirt et je vais me faire un thé à la mangue pour apaiser mon esprit. Je passe vite fait sous la douche pour m’éclaircir les idées. Mais rien n’y fait, je ne pense qu’à ces visions. Elles sont déconcertantes et dénuées de sens, incohérentes et chaotiques mais à la fois elles paraissent tellement vraies. Je me pose un tas de questions, à commencer par pourquoi moi ? J’ai rien demandé. Et pourquoi ces visions me révèlent des événements dramatiques liés à l’Atrium ? Des histoires d’amour bouleversantes et brisées par des forces démoniaques. Des destins scellés par le mal et par la mort. Des larmes coulèrent sur mes joues. J’étais horrifiée et pétrifiée. Je n’osais pas réveiller Thomas. Mais que devais-je faire pour oublier ces rêves maudits qui n’ont aucun rapport avec moi. Je finis ma tasse bouillante et décide de retourner m'allonger auprès de Thomas. Je me serre contre lui, sentant sa chaleur qui m’envahit. Je lui pris la main, la caressa du bout de mes doigts et je ferma les yeux pour m’assoupir quelques heures lorsqu’une vision particulièrement troublante me fit sursauter et Thomas avec. Je suffoquais à nouveau. Je ne pouvais pas parler tant j’étais apeurée et choquée. Je me voyais, moi. Je me voyais seule. Je me voyais désemparée. Je me voyais pleurer la perte de Thomas. Thomas qui s’était perdu dans les méandres de l’Atrium. Mais comment lui dire ? Paniquée par cette vision, je me leva et je demanda à Thomas de partir sur le champ sans lui donner d’explications. Stupéfait, il rassembla ses affaires et partit sous le choc de ma réaction. Je ferma la porte et m’écroula par terre en pleurant. Je devais m’éloigner de lui. Je devais le protéger. Même si je ne comprenais pas ce qu’il se passait dans ma tête, j’avais trop de crainte que quelque chose d’épouvantable lui arrive. La seule pensée de sa mort me glaça le sang. Je rassembla quelques bricoles, laissa un mot à Paola pour ne pas qu’elle s’inquiète et je me rendis à l’aéroport pour la destination de l’Alaska, m’exiler chez mes parents et oublier tous ces cauchemars.
Dévasté par son départ, Thomas tomba dans une dépression qui l’avait conduit quelques jours à l’hopital. Paola venait le voir de temps en temps pour lui donner le peu de nouvelles qu’elle recevait de Abby, tout en restant assez vague sur une date présumée de son retour. Mais elle avait beaucoup de peine pour lui. Son incompréhension le faisait sombrer dans le néant, sans qu’elle puisse lui venir en aide. Il ne comprenait pas ce qu’il avait fait de mal, ce qu’il avait dit peut-être, pourquoi elle s’était éloignée de lui. De quoi avait-elle peur, de lui ? A sa sortie, il reprit ses cours et pour se changer les idées, il se rendit à l’Atrium, son havre de paix, pour ne pas se retrouver seul chez lui. Il erra, montant les étages, les descendants, regardant par les vitraux. Il songeait. Il cherchait des réponses qui restaient suspendues à ses lèvres. Il feuilletait des livres. Il regardait des vidéos. Il occupait ses journées de la même manière jours après jours dans l’espoir qu’elle revienne, qu’elle l’appelle, qu’elle lui donne des explications, qu’elle lui dise qu’elle aime. Un matin, il découvre un ancien livre de légendes sur l’université. Il demanda à pouvoir le prendre pour l’étudier chez lui. Les pages étaient jaunies par le temps, mais l’encre était intacte. Avec délicatesse, il tournait les pages sans les abîmer. Le livre parlait d’un amour impossible, un amour maudit par des forces obscures, un amour brisé. Le jeune homme, condamné à errer dans les sous-sols sombres et ténébreux de l’Atrium pour l’éternité, hantait les lieux. Légende ou pas, Thomas fut troublé par cette histoire. Il se remémora les peurs, les angoisses et les visions de Abby qui reflétaient la tragédie de ce jeune homme du cœur de l’Atrium, du livre ancien. Mais il n’arrêtait pas de se demander ce qu’Abby avait en commun avec ce jeune homme ? Ne trouvant aucune réponse pour ce soir, il s’endormit sur son canapé avec ce vieux livre ouvert sur sa poitrine.
A bout de plusieurs semaines d’investigations, d’enquêtes, de réflexions et d’études sur le site de l’Atrium, j’étais épuisé, anéantis par toutes les révélations que m’avait offert ce livre. Je commençais à comprendre que notre amour qui avait éclos à la bibliothèque universitaire de l’Atrium était lié à la tragédie du jeune homme des enfers. Lorsque Abby avait découvert ce livre ancestral sur une étagère et qu’elle l’avait dépoussiéré pour l’admirer et le consulter, elle n’avait pas simplement ouvert un livre, elle avait propulsé la malédiction des amants du cimetière, anciennement lieu culte sous les nouvelles fondations, sur sa propre personne. Je fis le lien avec toutes les visions, les rêves et l’évanouissement d’Abby, et je me mis à vouloir la retrouver pour mettre fin à ce sort cruel, délivrer l’âme du jeune homme pour trouver le repos et ainsi nous libérer, Abby et moi, de cette fatalité. Je me mets en quête de trouver Paola pour la supplier de me donner l’adresse des parents d’Abby. Je l’implore. Elle cède et m’avoue que depuis le début de cette semaine, elle passait ces journées enfermée dans l’appartement pour rattraper son retard avant son retour à la fac. Elle admet, que la plupart du temps, elle est en larmes quand elle rentre des cours ou d’une sortie improvisée, le soir. Je voulus me rendre chez elle, espérant qu’elle ne me rejetterait pas, qu’elle accepterait de m’écouter mais n’ayant eu aucune nouvelles d’elle durant tout le mois d’octobre, je partis à la bibliothèque universitaire pour lui écrire une lettre, au cas où, elle ne m'ouvrirait pas sa porte. Je m’applique à lui dire que je l’aime, qu’elle me manque, que je ne peux pas et ne veux pas vivre sans elle, que je veux qu’elle prenne le temps de redéfinir sa position envers moi. Je lui explique mes recherches, mes trouvailles et mes déductions. Que tout a un sens maintenant. Et que si elle est d’accord, je me battrais à ces côtés pour affronter ces démons qui la hantent et qui nous ont séparés. Je finis ma lettre par « Abby forever ». Je me rends chez elle, sonne à la porte et personne ne me réponds. Je recommence à nouveau, personne. J’insiste, toujours rien. Le cœur lourd, je pose ma tête contre sa porte et je laisse mes mots envahir ce sombre instant.
Calfeutrée derrière ma porte d’entrée, je me suis laissée tomber au sol et je récupère la lettre de Thomas. Les yeux rouges d’avoir trop pleuré durant des semaines, je m’efforce de retenir mes larmes. Une odeur que je reconnais atteint mes narines en peu de temps. Je rougis à l’idée qu’il est pu asperger sa lettre de son parfum. Je souris. Je m’en veux de ne pas lui avoir ouvert la porte, mais j’ai été surprise et je ne voulais pas qu’il me voit dans cet état. Il me manque tellement, le réconfort de ses bras, sa douceur, sa tendresse et sa douce voix qui me rassure. J’ouvre sa lettre, mon cœur bat, je tremble un peu et je lis. Je découvre que lui aussi a fait ses petites recherches de son côté et que lui aussi a fait de belles découvertes inattendues en lien avec le nouveau bâtiment : l’Atrium. Je suis heureuse, il m’aime, il tient à moi. Je veux lui crier mon amour. Je veux me battre à ses côtes. Je dois le lui dire. Je file sous la douche, j’enfile une jeans et un pull cachemire rose pale, un léger coup de brun sur mes lèvres, un peu de blush sur mes joues et de l’anti cernes pour cacher mes nuits blanches. Je prends mon sac rempli de diverses documents récupérés sur différents sites et je cours le rejoindre à notre table d’observatoire. Il est presque midi et je sais qu’il déjeune toujours dans le hall de l’Atrium. Il était là, les yeux fixaient sur son téléphone comme si il allait sonner d’un instant à l’autre. Je m’avance doucement pour ne pas l’effrayer, en lui murmurant à l’oreille, les mots les plus rayonnants et les plus simples.
Le soir même, Thomas veut rompre le sortilège sans plus attendre et m’embarque dans le hall, au cœur de l’Atrium, qui par chance, est ouvert assez tard. En me tenant la main, il sort un bout de papier de sa poche et le lit à voix haute.
Les pages jaunis de ce livre se referment dans un silence de poussière de fée sur mon départ en ambulance avec ce bel inconnu à la ressemblance troublante avec Thomas. Je reste à le fixer. L’intensité de son regard captiva mon attention.